unité perpétuelle du lien du mariage

             Les deux ‘bas’ et le caractère d’unité perpétuelle du mariage égyptien ancien.

 

            L'union des deux Horus/deux ‘bas’ (Osiris et Horus sont appelés ‘bas’, cf. TP 356), permettait la formation d'un seul Horus (TP 667A)/« celui aux deux ‘bas’ » (TS 335, LdM 17), uni conjugalement au « ciel », aux « dieux », à « ceux qui sont à Mendès », les hommes divinisés (épouse d'Horus).

 Cette union des deux ‘bas’, était représentée de deux façons :


 1) Soit Horus N (serekh) est uni à Horus à tête de faucon « dans le château (=épouse) » (cf. stèle de Qahedjet),


 2) Soit ce même Horus N (serekh) est uni au château (=épouse) d’Horus (=Ḥwt-Ḥr = Hathor) ou autre déesse (cf. TP cités dans Les deux ‘bas’).



      Dans les deux cas, il s’agit d'un même mariage car la déesse/château formait les « membres » (TP 260, 419) d’Horus à tête de faucon « dans le château ». Ce mariage consistait en l'union d'Osiris/Horusavec Horus, ce dernier « remplissant » le premier qui devenait un Horus (cf. Les deux ‘bas’).

        

      Cette alliance entre Horus N (serekh) et Horus « dans le château (=les dieux, épouse) » (cf. stèle de Qahedjet),  remplaçait une ancienne 

   Celle des dieux (épouse) dont « les sandales blanches (ṯbwt ḥḏt), les vêtements (mnḫwt) », furent « jetés (sti) », « débarrassés (sz?) » (TP 518) par les dieux eux-mêmes, parce qu’ils n’avaient pas le cœur prospère, tant que N n’était pas « descendu (union) » sur la chaussée appelée « prospérité du cœur » pour être leur époux (pour ce statut d'époux, cf. infra).

 

TP 518 (P/Cn/W 16  M/Cm/E 23  N/Cm/E 22)

« N a trouvé les dieux debouts (gm~n N nṯrw ʿḥʿw),

 enveloppés de leur vêtement (=épouse) (knmw m mnḫ.wt=sn),

 leurs sandales blanches (=épouse) à leur pieds (ṯbwt=sn ḥḏt r rd.wy=sn).

 Ils jetèrent leur sandales blanches (ancienne épouse) sur le sol s?~jn=sn ṯb.wt=sn ḥḏt jr tȝ,

et se débarrassèrent de leur vêtement (ancienne épouse)(szȝ~jn=sn mn?wt=sn)

‘‘Nous ne sommes pas heureux (litt. sain de coeur) jusqu'à ta descente (=mariage)’’ dirent-ils (n wȝḏ-jb=n jr hȝt=k, jn=sn)

À peine avez-vous parlé, que la chaussée/dromos (=épouse, = Isis cf. infra) a été rendue stable pour vous (ḏd~n=ṯn, jsmn n=ṯn sḫm)

‘Prospérité du coeur’ (=épouse) est le nom de cette chaussée/dromos au Nord du champ de l'offrande ( wȝḏ-jb, rn n sḫm pw mḥt sḫt ḥtp (dét. pain allongé horizontal).

Debout, Osiris, et ordonne N pour ceux qui sont sur la chaussée ‘prospérité du coeur’ (=épouse) au Nord du champ de l'offrande (ʿḥʿ jr=k Wsjr, wḏ=k n n ḥrw sḫm wȝḏ-jb mḥtj sḫt ḥtp ),

 comme tu as ordonné Horus à Isis (=mère et épouse, comparée à la chaussée ‘prospérité du coeur’) en ce jour où tu l'as rendu enceinte (mj wḏ=k Ḥr n Ȝst hrw sjwr~n=k s jm) ».

 

     Autrement dit, les sandales et les vêtements symbolisaient l’alliance des dieux (=épouse) avec un autre époux qui ne rendait pas prospère le cœur des dieux (épouse).

     Le geste de les jeter à terre, signifiaient une rupture de l’alliance avec ce mauvais dieu-époux.

     Comme les sandales et les vêtements, la chaussée ‘prospérité du cœur’ symbolisait, comme son nom l’indique, le cœur des dieux, mais cette fois-ci le cœur prospère des dieux, et donc les dieux eux-mêmes formant une nouvelle alliance en tant qu’épouse (remariée), avec osiris N (lui-même remarié après la mort, en tant qu'Osiris/Horus) (TP 518 P/Cn/W 16  M/Cm/E 23  N/Cm/E 22).


    Osiris N était bien l’époux des dieux (épouse), car, selon la suite de la formule, N est « ordonné (w?) » par Osiris, à ceux qui sont sur la chaussée (=les dieux), exactement « comme Osiris a ordonné Horus à Isis quand il l’a rendu enceinte ».

   Or Isis, à qui est comparée les dieux qui sont sur la chaussée, était la mère d’Horus mais aussi son épouse ; de fait, Horus était appelé « Taureau (=époux) de sa mère ». à partir du Moyen Empire[1]. De plus dans les Textes des Pyramides, la mère était aussi l’épouse : Isis entourait Horus comme le firmament liquide (qb?w), le champ de l’offrande « dans » ou « à l’intérieur » desquels Horus « buvait et mangeait » (TP 518 §1200 a,b,c), alors que c’était lui qui les avait fondé (snty) en tant qu’épouse (TP 518 1196b).

    N est donc ordonné en mariage à ceux qui sont sur la chaussée, comparée à Isis, épouse et mère.

    Ainsi la prospérité du cœur signifiait la joie de l’épouse (les dieux) avec son époux (Osiris/Horus N serekh).

   Cette prospérité du cœur, toute sponsale, était symbolisée par les sandales blanches, les vêtements, la chaussée des dieux-épouse de N. 

 

     D’autres formules illustrent la rupture réalisée par une épouse (les dieux) d’avec un dieu autre que N, pour qu’elle puisse se remarier avec N :

      Dans la formule 509 (P/Cm/E 71  N/A/S B3), Osiris N en tant que taureau « renverse les remparts (=épouse) de Chou (époux) (sšn znbt šw) », « §1125a de sorte qu’il (=N) se tient debout à sa place vide (jm st šwt) (= épouse) qui est entre les deux grands dieux ».

     Dans la formule TP 255, Chou est décrit comme « le détestable de construction (=alliance) (?b? qd), le détestable de forme (=alliance) (?b? jrw) ». Et il lui est demandé « chasse toi de ta place (=épouse) (jdr ?w ?r st=k), dépose ton insigne (ta dignité, épouse) à terre pour ce N (wȝḥ=k sȝḥ=k r tȝ n N pn)  ».

 
    Si cela n’est pas fait, N « frappera les bras de Chou portant Nout (=épouse), Et N placera son épaule (en tant que taureau) dans ce rempart (=épouse) sur lequel tu (=Chou) t'appuis (t'épaule)  (wd kȝ
 N pn rmn=f m znbt tw rmnt=k r=s) ».



      La place vide (épouse) pouvait aussi être celle de Rê (époux), qu’Osiris N chasse, pour prendre sa place, selon la formule 267 (W/A/S) :



« §366b il (=N) vole en tant qu’oiseau (jpȝ
=f m ȝpd),


il se pose en tant que scarabée (ẖnn=f m ḫpr),


sur le trône vide qui est dans ta barque, O Rê (m nst šwt jmyt wjȝ
=k, Rʿ) »

Puis il est ordonné ceci à Rê :

 

« §367a debout, retire-toi (litt. chasse-toi) (
???, jdr ṯw),

 
toi qui ne connaît plus (= rupture d’alliance) de fourré de roseaux (= les dieux, épouse), jḫm jwt
que ce N puisse s’assoir (= union) sur ton siège (ḥms W pn m st=k),

 
et ramer (union) dans le ciel, dans ta barque, Rê ! ( ẖnny=f m pt m wjȝ
=k R?) ».

 

     Ainsi Rê est sommé de se séparer de l’épouse (trône vide, fourré de roseau, barque) qu’il ne « connaît » plus, i.e. avec laquelle il est désengagé, pour que N puisse s’y assoir (= union conjugale, remariage), y ramer.


      D'autres formules illustrent différemment la nécessité de la rupture d’avec l’épouse pour que cette dernière puisse se remarier : Dans la formule 476, il est ordonné à un scribe (sš) d'« écraser (s?) » sa « palette (mn??) », de « casser (?bs) » son « pinceau (
?r) », de « dérouler, hnn » ses « rouleaux (m??wt) ».


      Or ces objets dont dispose le scribe, sont des métaphores de l’épouse. En effet, « le rouleau du dieu » (TP 250), signifie l’appartenance du rouleau au dieu, exactement comme l’épouse appartenait à son époux.

 
     De plus, quand N est appelé « le scribe du livre du dieu » (TP 510), l’appartenance du « livre » (épouse) au scribe N et au dieu, rappelait le lien de l’épouse (livre) à son époux N identifié au dieu qui a la même épouse. 

    Ces objets, palette, pinceaux, rouleaux, représentent bien l'épouse car selon la suite de la formule 476, le scribe, en se séparant son matériel, perd aussitôt sa place/trône (st), autre symbole de l'épouse. De fait, Rê est chargé de « chasser (dr) » ce scribe de sa place et de mettre N à sa place (= l’ancienne épouse devenue la nouvelle épousée) de sorte que N soit blanc (bȝq) (=divin), ayant l'épouse/place et portant le bâton ʿbt (=épouse).

   On constate qu'une épouse devait être « détruite », éloignée de son ancien époux, pour que N puisse épouser cette ancienne épouse (remariage pour elle mais aussi remariage de N puisque N était Osiris, ancien époux, mort et devenu Horus (nouvel époux) sur le serekh (temple, épouse)).

       Réciproquement, ce sont les dieux (épouse) qui pouvaient être mauvais : il est dit ailleurs que le père de N (=N) devait « faire son cœur (= alliance de N avec les dieux (épouse)) », « un autre (cœur) ayant été retirée pour lui, (ky šdy n=f) », car ce coeur, « s’opposait, ??k » à ce que le père de N « sorte au ciel (= immortalité), de sorte qu’il pataugeait dans ces cours d'eau sinueux (rhn=f m nnwt n??). » (TP 512 P/Cm/W 55   N/Cm/W 66).

       Ce cœur était une alliance de N avec de mauvais dieux (épouse), car ils laissaient N à terre. Au contraire l’alliance de N avec les dieux Anubis et Geb, permettait à N, à la fois de « garder la terre et de gouverner les esprits akhou », d’être purifié et divinisé, stable, de « traverser le ciel », d’être « parmi les dieux partis pour leurs kaou », de s’approprier l’akh, esprit lumineux, selon la fin de la formule (« va dans ton esprit akh ») (TP 512).

 
       Ainsi pour contracter une nouvelle alliance/mariage, il fallait une rupture avec l'ancienne, soit par la mort soit par le divorce. D'où l'unicité perpétuelle du mariage, c.à-d. l'impossibilité pour un mari de posséder plusieurs épouses simultanées (polygamie), et l'impératif pour les deux époux, de mariages successifs, après divorce ou mort de l'un des deux conjoints.

       Cet aspect fondamental du droit matrimonial fut particulièrement bien exprimé à partir du Nouvel Empire, dans une lettre (texte de la pratique) et un texte juridique :



- dans une lettre (P. BM 10416) datant du Nouvel Empire et provenant de Deir el-Medineh. Il est vivement conseillé à la « maîtresse » d’un homme marié, d’emmener ce dernier au tribunal avec son épouse en titre, de façon à ce qu’il prête le serment de divorce et qu’il épouse sa « maîtresse » :

« (vs l. 8-10)  Si le cœur de cet homme (marié) est pour toi (=la maîtresse) (jnn jb n pȝy rm? r=t), fais qu’il entre au tribunal avec son épouse (jm ʿq=f r tȝ qnbt jrm tȝy=f ḥmt), qu’il prête serment (de divorce) et qu’il vienne dans ta maison (=remariage), mtw=f ʿrq=f, <10> mtw=f jy r pȝy=t »[2].


- dans une loi sur les contrats d'alimentations, et plus précisément, sur l'héritage des enfants issus de deux épouses successive (après divorce) de leur père. Cette loi fut citée dans le P BM 10591 (archives familiales de Siout, comportant un procès de l'époque ptolémaïque), et fut appelé « loi de l'an 21 ».

    Elle fut promulguée vraisemblablement sous Amasis (XXVIe dynastie).

    En effet, dans le P. BM 10591, le pharaon n’est pas nommé, mais il ne peut être qu’un pharaon (le roi lagide de l’époque ne régna pas aussi longtemps) ; ce pharaon ne peut être qu’Amasis, dernier législateur d’après Hérodote.

    De plus, c'est sous son règne qu'apparaissent les contrats d'alimentation dont parle cette loi[3].

    En voici la teneur :

  « Si un homme épouse (litt. s’assoit avec) une femme (j-jr rmṯ ḥms jrm s-ḥmt), 

et il écrit pour elle un contrat d'alimentation, 

et il a un fils d'elle, et il divorce d'elle (litt. il la jette, mtw=f ḥwy.ṱ=s), 

et il épouse (litt. s’assoit avec) une autre femme (mtw=f ḥms jrm gr s.ḥmt),

et il écrit pour elle un contrat d'alimentation (mtw=f sš n=s sʿnḫ), 

et il a un fils d'elle (nty-jw šr ḫpr n=f jrm=s), 

quand l'homme meurt (nty-jw p? rm? n rn=f mwt), ses biens (nȝy=f nkt.w),

on les donne aux enfants de l’épouse d’avant (j-jr jr tw=w st n nȝ ẖrd.w (n) tȝ ḥmt hȝj)

pour laquelle il a écrit un contrat d'alimentation auparavant (r-sš=f n=s r sʿnḫ n hȝjt) » [4].


       Cette unicité perpétuelle du mariage fut aussi affirmée par un fait attesté dès l'Ancien Empire mais aussi durant les 3000 ans de l'institution du mariage égyptien ancien :

       C'était le dieu qui « ordonnait (wḏ) » ou scellait l'amour conjugal, c'est à dire qu'il divinisait cet amour en le rendant « comme celui d'Horus avec sa mère Isis » (TP 518), ou comme celui d’Horus/Osiris N/pharaon/ba/les deux bas, avec son peuple (les hommes divinisés=Isis, le ciel).


       Or l'épouse d'Horus étant comparée à sa (=d'Horus) mère unique et divine, Isis (TP 518), il s’ensuit que le mariage était perpétuellement unique. Cette comparaison est donc un argument de plus en faveur de ce caractère du mariage, qui vient s’ajouter à l’autre preuve tirée de la liste des textes cités ci-dessus sur la nécessité d’une rupture de mariage pour en contracter un autre.

       Par ailleurs, le fait que le dieu « ordonne » les époux l’un à l’autre et scelle leur amour de manière unique et perpétuelle, il s’ensuit que le caractère d'unicité du mariage, était un sceau divin.

      Tous ces textes religieux employant les termes du mariage standard, permettent d’affirmer que ce dernier symbolisait celui d'Horus avec son peuple (=Isis), lors du couronnement, en la fête de « nous sommes stable/demeurons » (TP 419, 477,480, 518 et TS 335, LdM 17).

 

Laure de Lamotte ©


[1] LGG VII, 2002, p. 259 s.v. « K?-mwt.f ».

[2] Janssen 1988, p. 134-7, pl. 25-28 ; Janssen 1991, p. 28-32, pl. 15-18 ; Wente 1990, p. 203.Neuveu 2001, p. 25-31 ; Gee 2002, p. 17-21.

[3] Johnson 1994, p. 113 ; Allam 1986, p. 73, n. 1.

[4] P. BM 10591 (IIe siècle av. J.-C), rto X, 7-9), cf. , B.x :7-9; cite dans Pestman 1961, p. 44.

Date de dernière mise à jour : 03/06/2021

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